Délivrances de Toni Morrison

Editions Christian Bourgois, édition 2015, 197 pages. Traduit de                                                              l’anglais (Etats Unis) par Christian Laferrière

 » La haine qu’éprouvaient les Blancs, leur violence, était le carburant qui faisait tourner les moteurs du profit. Ainsi, après sa licence, il s’était tourné vers l’économie, son histoire, ses théories, afin d’apprendre comment l’argent avait déterminé chacune des formes d’oppression dans le monde et créé tous les empires, toutes les nations, toutes les colonies, en se servant de Dieu et de Ses ennemies pour récolter, puis masquer les richesses.  » ‘p129)

 Chez Toni Morrison vous êtes sûr de trouver des thèmes forts, des thèmes qui frappent secs. Bride n’a pas eu une enfance facile, ni heureuse. Elle a été élevé à la dure par une femme qui n’a jamais accepté sa couleur (sa mère était claire de peau). Pourtant Bride (nommé Lula Ann par sa mère) est superbe. Sa peau est noire bleutée, noir d’ébène. La rencontre avec un homme « créateur de personne totale » (un relookeur) est importante pour Bride. Dès lors, Bride ne s’habillera plus qu’en blanc.

 » Tu devrais toujours être en blanc, Bride. Rien qu’en blanc et tout en blanc, tout le temps » insistait Jeri…/… « Pas seulement à cause de ton nom, me disait-il, mais à cause de ce que ça fait à ta peau réglisse. Et le noir, c’est le nouveau noir. Tu vois ce que je veux dire ? Attends. T’es plus sirop de cacao que réglisse. Cela rappelle la crème fouettée et le soufflé au chocolat à chaque fois qu’on te voit. » (p45)

Bride prend conscience de sa beauté, les gens se retournent encore sur son passage, mais plus pour la même raison.

 » …/… ce n’étaient plus les regards légèrement dégoutés que je m’attirais quand j’étais gosse. Ces regards-ci étaient emplis d’adoration, stupéfaits, mais affamés. » (p46)

Le roman commence par l’effritement de Bride suite à deux évènements ; l’homme qui partage sa vie l’abandonne avec ses simples mots  » T’es pas la femme que je veux. » Pourtant il lui semblait que leur relation était sereine et simple. Cet abandon elle le vit très mal, cela bouscule ses certitudes. L’autre évènement est que Bride se fait copieusement casser la figure, mais je ne veux pas lever le mystère sur ce personnage qui lui inflige cela. Sachez juste que Bride a menti quand elle était enfant, un mensonge lourd de conséquences sur ce personnage là. Un mensonge qu’elle a fait pour avoir des miettes de tendresse et de reconnaissance de la part de sa mère. Après, c’est l’histoire d’un départ. Cette jeune femme prend la route pour retrouver l’homme qu’elle aime et qui l’a quitté d’une façon si brusque. Elle veut comprendre, elle veut savoir. Sur sa route il y aura une petite fille, dont l’enfance a été encore plus brutale que la sienne. Il y aura aussi de l’angoisse suite à quelque chose de très mystérieux ; son corps change, son corps évolu et elle ne maitrise ça en rien. Et puis on en apprend plus sur Booker, son homme, lui aussi traîne un passé douloureux, un deuil dans son enfance et dont il ne se remet pas.

Je me suis vraiment attachée aux personnages cabossés de Toni Morrison. C’est vraiment un roman qui vous emporte, qui vous empoigne. C’est douloureux, ça écorche mais c’est la vie, leurs vies… Un roman sur ce thème universel ; avoir un passé qui ne passe pas, et ça me touche à chaque fois… L’enfance, parfois, est une griffure qui peut peser sur toute une vie.

Lu pour les matchs de la rentrée littéraire 2015 Price Minister #MRL15 PM

Lu aussi par  Noukette ; « Toni Morrison occupe une place à part dans mon petit panthéon d’auteurs… C’est une voix qui m’a longtemps accompagnée, une voix forte, tantôt rageuse, tantôt caresse. Une voix qui dit les souffrances, la honte et les destins brisés comme personne. 

Philisine Cave ; « Toni Morrison peut écrire n’importe quel texte court, mon cœur de lectrice lui sera définitivement acquis. Elle a cette façon subtile d’aller à l’essentiel avec un phrasé travaillé mais d’une simplicité déconcertante. Il n’y a aucune vulgarité chez elle même lorsqu’elle relate des faits divers sordides. Et pourtant, on ne peut pas dire qu’elle ménage son lectorat avec Délivrances (titre sublime au pluriel : c’est volontaire et veut tout dire). »

Alex ;  » Un roman sur l’importance de la parole pour se délivrer du poids des secrets. »

Jérôme ;  » Dans ce roman choral, Toni Morrison s’écarte de ses travaux précédents autour de la mémoire collective pour s’intéresser à la mémoire individuelle à travers deux quêtes personnelles, celles de Bride et Booker.

Jostein ;  » Toni Morrison nous livre une nouvelle fois un roman sur l’enfance et la ségrégation. Car, là est la vocation de l’auteur, défendre cette cause, redonner la parole aux enfants meurtris à cause de leur couleur. Et pour dévier le drame ou peut-être lui donner une dimension supérieure, elle ajoute une pointe de mystère, de fantastique. Comme si le seul chemin de délivrance était de s’évader dans une autre dimension. »

Pour le challenge 1% rentrée littéraire chez Hérisson  RL2015 1/6

Et ce livre sera aussi ma première pépite chez Galea 

36 commentaires

  1. Ton avis et celui de Jostein me réconcilient avec cette hauteure car Home m’était tombé des mains, j’essaierai celui-ci, ce que tu en dis me met l’eau à la bouche ! 😉 Bises L’Or !

  2. On se rejoint pour tout (sur le roman et sur la pépite galinettienne). Yes ! Bises (tu vois, tu as réussi à le chroniquer)

  3. J’ai beaucoup lu Toni Morrisson, c’est toujours des textes très forts avec le thème de l’esclavage qui revient souvent. Je note celui ci, j’attendrai sa sortie en poche.

    • Rhooo, c’est gentil Sandrine, merci, surtout venant de toi :0) Cela me booste un peu surtout que j’ai une seule résolution pour cette année ; faire enfin mes billets lectures ;0) Quand au roman lis le très vite, il ne te décevra pas !

  4. Tiens, une lectrice en parlait hier à mon comité de lecture, disant que c’était un très bon livre mais que de toutes façons, avec Toni Morrison, on ne pouvait pas se tromper !
    Pour ma part, je n’ai jamais tenté, mais je suis curieuse 🙂

    • Je crois qu’un auteur à une chose à dire et une seule. Même si c’est dit chaque fois d’une autre façon… Si tu es lassée, il faut changer d’auteur ;0)

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