Les larmes de Tarzan de Katarina Mazetti

 » Tu n’as pas remarqué que d’une étrange façon la procréation est presque devenue l’affaire privée de la femme au cours de ce siècle ? Il faut qu’on soit toujours préparées à être quittées avec une flopée d’enfants et les comptes dans le rouge. C’est pareil partout dans le monde, je l’ai lu l’autre jour : plus d’un tiers des familles avec enfants ont une femme seule comme chef. En Afrique, en Amérique du Sud, en Asie. Je n’arrive pas à comprendre comment on en est arrivé là ! Des papas qui se tirent, des papas qui s’en foutent, des papas qui croient qu’ils sont concernés alors qu’il y a toujours quelque chose qui coince. » (p213)

L’histoire est celle de Tarzan et de Janne, Janne avec deux n. Tarzan c’est elle ; Mariana. Janne c’est lui, et oui c’est inversé. Cela donne déjà le « la » de ce roman décalé et plutôt caustique. Encore une fois Katarina Mazetti joue avec les différences marqués et l’amour qui tombe quand même dessus. C’est le cas d’ailleurs littéralement dans ce livre puisque, pour leur première rencontre, Mariana tombe sur Janne en dégringolant de son arbre d’où elle batifolait gaiement comme une gamine. C’est un choc pour eux d’eux mais loin d’être un coup de foudre. La première opinion que Janne a d’elle c’est qu’elle est imbuvable, pas séduisante pour un sou. Il trouve son maillot ringard, il lui trouve « des cernes noirs et des rides de bronzage« , et « des vilains petits seins, comme des oreilles de basset« .

Comme vous pouvez le voir ce n’était pas gagné tout de suite. Et pourtant ces deux là vont s’approcher, se renifler comme des petits chiens curieux et, finalement se trouver mutuellement pas si mal que ça. Alors même que leur situation est totalement différente ; Janne a une très belle place dans la société et un salaire qui lui permet de vivre plus que bien. Mariana elle, rame pour nourrir sa petite famille, son salaire de prof d’arts plastiques à mi-temps est loin d’être suffisant. Et ses deux enfants, Bella et Billy, sont à sa seule charge puisque le père, Micke, a disparu soudainement sans donner aucunes nouvelles. Elle finira pourtant par savoir pourquoi.

 » Un matin il s’était envolé. La seule chose qu’il avait emportée était une pile de slips et de chaussettes propres posée sur un tabouret dans la cuisine, et je crois qu’il avait pris aussi mon imperméable, pour un usage qui m’échappait. Je me suis rappelé par la suite qu’il prétendait que le plastique était une bonne protection contre… eh bien, contre le rayonnement. Le mieux, c’est sans doute de me dire qu’il était complètement siphonné et de l’accepter, même si j’ai essayé plus d’une fois de me mettre dans sa peau. Ressentir ce que ça fait de croire tout le temps qu’un tas d’inconnus échangent sur leurs sites des messages habilement codés uniquement pour vous coincer. D’après lui, c’était parce qu’il était sur le point de faire une percée dans ses recherches. »

Vous l’avez compris, Micke est très, très, spécial… C’est un chercheur diplômé en sociologie, en ethnologie, en épistémologie mais un chercheur complètement farfelu. Pourtant Mariana en était plutôt folle. Elle a du mal à s’en détacher et cela même alors qu’elle et Janne entament une relation timide. Janne et Mariana prennent la parole chacun à leur tour et cela donne une dynamique intéressante au roman, surtout que, de temps en temps, les enfants aussi font entendre leurs voix.

Même si la vie est dur pour Mariana, elle a même, parfois, vraiment du mal à nourrir convenablement ses enfants. Elle a recours a des petits trucs pour mieux faire passer la pilule. Et elle sait, malgré la situation, leur donner des moments magiques, comme par exemple avec  l’heure bleue

 » On a joué jusqu’à l’heure bleue. C’est quelque chose de très spécial dans notre petite famille. On éteint toute les lampes et on regarde par la fenêtre quand le crépuscule pose sa lumière bleue partout. Les immeubles avec leurs écheveaux de graffitis maladroits et les parkings sont bleu sombre et même la descente du métro brille d’une lumière magique, comme un foyer pour les habitants souterrains. Quand on a fini de regarder, on allume une bougie dans un verre bleu puis on raconte des contes de fées tristes avec des princesses qui s’égarent et des petits chiens qui perdent leurs maître.  Et je laisse toujours le conte en suspens jusqu’à ce qu’ils aient dîné et qu’ils soient au lit. Alors la princesse arrive à bon port et le chien retrouve son maître et les enfants s’endorment avec des soupirs d’aise en serrant leurs peluches usées dans les bras. » (p44 et 45)

Ainsi qu’avec ces jeux qu’elle invente avec ce qu’elle a sous la main, par exemple des vieilles boites à oeufs.

 » J’ai déniché un tas de vieilles boîtes à oeufs, puis on a construit une vraie montagne sur la table du séjour, avec des rochers bosselés, on l’a peinte en gris et on l’a peuplée de moutons et de chèvres qu’on fabriquait avec du coton et des allumettes. Ils habitaient dans des grottes sur cette montagne, et ils allaient se rendre visite, les uns les autres, et parfois ils se bagarraient pour une grotte particulièrement chouette. On s’amusait comme des petits fous et on allait juste commencer à nourrir nos moutons avec des brisures de feuilles de géranium quand Janne a sonné à la porte. » (p109)

Je crois que ce sont les passages que j’ai préférés, cette magie qu’elle arrive à mettre dans leurs vies, malgré sa précarité.

C’est une lecture moderne, très loin d’être fleur bleue. C’est la vie, la vraie… Celle qui vous plombe parfois,  mais qui sait aussi vous donner de vrais instants de joie… La fin d’ailleurs est assez culotté je trouve. C’est assez courageux comme conclusion, en tout cas c’est osé. Mais impossible de vous dire pourquoi sans spoiler.

Première édition Gaia 2007. Il existe maintenant en poche, chez Babel. Traduit du suédois par Lena Grumbach et Catherine Marcus.

Lu par Theoma, Clarabel, Joëlle, A propos de livres.

Issu de ma PAL Noire 

Lu pour le mois Suédois 

Lu pour le challenge de Lystig « Scandinavie blanche » dc3a9fi_scandinavie_blanche

Lu pour le challenge PAL d’antigone  

44 commentaires

  1. J’aimerais bien le lire aussi celui la! J’aime bien l’ecriture de Mazetti (sauf entre dieu et moi c’est fini que je n’ai pas aime). Merci!

    • J’avais beaucoup aimé « Le mec de la tombe d’à côté », un peu moins sa suite, que j’ai trouvé plombante… Quand à Entre dieu et moi c’est fini je ne l’ai pas lu !

  2. Pas du tout accroché à l’univers de l’auteure avec Le mec de la tombe d’à côté, donc je passe. Bonne fin de semaine.

    • Merci pour le lien Dasola, je le dis toujours, n’hésitez surtout pas à me donner vos liens !! Moi aussi j’aime bien sa façon d’écrire, c’est vrai, une vraie conteuse ;0) Bonne semaine

  3. Celui qu’elle avait écrit juste avant m’avait déçu, alors je ne suis toujours pas tentée par celui-ci.

    • Quel est celui qu’elle a écrit juste avant ? Le mec de la tombe d’à côté ?? Tu n’as pas envie de retenter ?!! ;0) Bonne semaine

  4. Bon je ne suis pas preneuse pour ce genre d’histoire alors je passe mon tour !!
    Mais alors je te nomme la reine des challenge tu m’impressionnes

    • On ne peut pas tout lire c’est évident, bien obligés de faire des choix ;0) Si tu savais à combien de challenges je suis inscrite ;0) Je ne pense que j’arriverais à tous les faire :0)

    • Le troisième titre que je lis d’elle. J’avais beaucoup aimé Le mec de la tombe d’à côté mais beaucoup moins sa suite, que j’ai trouvé plombante…

  5. Bonjour,
    Je viens de relire le billet que j’avais écrit à propos de ce livre, que j’avais bien aimé, apparemment !
    http://ruedesiam.blogspot.fr/2010/11/les-larmes-de-tarzan.html
    Mais il me reste très peu de souvenirs de cette lecture. Pour moi, c’est toujours un peu ce qui se passe avec Mazetti. C’est plaisant sur le moment, mais j’oublie vite. D’ailleurs, j’ai lu aussi Le mec de la tombe d’à côté, je n’ai pas écrit de billet et j’ai bien du mal maintenant à me souvenir de ce que j’en avais pensé.

    • Si tu savais le nombres de romans dans ma PAL qui attendent ainsi ;0) Mais comme tu le dis ; un jour leur tour viendra forcément. Bienvenue chez moi Elea

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